Le Monde » a suivi durant neuf mois une flottille de quatorze bateaux de pĂȘche industrielle chinois, grĂące aux donnĂ©es satellites analysĂ©es par lâONG Global Fishing Watch... Une enquĂȘte qui dĂ©voile le pillage des ressources halieutiques de la haute mer Dans les eaux chaudes de la mer dâArabie sâouvre chaque annĂ©e une chasse sans merci. La saison prĂ©datrice dĂ©bute au cĆur de lâĂ©tĂ© quand, de la Chine, sâĂ©lancent des centaines de navires vers le nord de lâocĂ©an Indien. Ils sâen vont traquer le calamar, dans une ruĂ©e effrĂ©nĂ©e vers lâor blanc protĂ©inĂ©, Ă 10 000 kilomĂštres de leurs ports dâattache â Ningde, Fuzhou ou Zhoushan. Les marins partent pour une odyssĂ©e sans escale, ni Ă lâaller ni au retour. Pendant neuf mois, les cales seront remplies nuit et jour, sans repos pour les hommes, sans rĂ©pit pour leurs proies. Tout au long de cette saison, dâaoĂ»t 2021 Ă mai 2022, Le Monde a suivi Ă la trace, semaine aprĂšs semaine, une flottille chinoise de quatorze navires originaires de la province du Fujian, grĂące aux donnĂ©es satellites analysĂ©es par lâONG Global Fishing Watch GFW. Les jiggers â turluttes », ou hameçons calamarettes » â dĂ©signent par extension ces bateaux qui attirent les cĂ©phalopodes grĂące Ă des lumiĂšres capables dâilluminer lâĂ©quivalent dâun stade de football, puis les attrapent avec des leurres. La nuit, observĂ©s depuis lâespace, ils forment une tache scintillante comparable Ă celle dâune grande ville. Les calamars qui remontent Ă la surface pour se nourrir nâont aucune chance dâĂ©chapper aux halos fatals. Ces pratiques, Ă la frontiĂšre de la lĂ©galitĂ©, relĂšvent de la pĂȘche dite non rĂ©gulĂ©e » et non dĂ©clarĂ©e ». La surpĂȘche industrielle, dont la Chine est devenue le premier acteur sur tous les ocĂ©ans, menace les ressources halieutiques. La proie â lâencornet Ă bande violette Sthenoteuthis oualaniensis â est victime de lâengouement croissant des consommateurs pour les cĂ©phalopodes, poulpes et seiches compris. Autour du globe, il sâen dĂ©barque dix fois plus quâen 1950 3,6 millions de tonnes par an en moyenne, avec un pic de prĂšs de 4,9 millions de tonnes en 2014, selon lâOrganisation pour lâalimentation et lâagriculture FAO de lâOrganisation des Nations unies. Le marchĂ© mondial du seul calamar pĂšse 12 milliards de dollars. La Chine compte pour 50 % Ă 70 % des prises dans les eaux internationales. Dans la mer dâArabie, les rassemblements de jiggers ont commencĂ© Ă ĂȘtre repĂ©rĂ©s en 2015, par GFW. La chasse au calamar, Ă laquelle se livrent aussi lâIran, la CorĂ©e du Sud et le Vietnam, y connaĂźt depuis une progression fulgurante. Le nombre des bateaux concernĂ©s y est passĂ© de 55 en 2016, Ă 164 en 2018, et 279 en 2019, selon un rapport publiĂ©, fin 2021, par lâONG basĂ©e en NorvĂšge TM-Tracking TMT. Battant pavillon chinois pour la majoritĂ© dâentre eux, ils ont ratissĂ© ces eaux en 2020 durant plus de 250 000 heures cumulĂ©es. AprĂšs la pandĂ©mie de Covid-19, lâannĂ©e 2022 devrait sâachever sur un volume comparable. Une campagne de neuf mois Juillet 2021, Ă Gantang Dans le bourg maritime de Gantang, au nord du Fujian, des navires patientent dans les chantiers avant le grand dĂ©part. Visage hĂąlĂ© et cheveux en brosse, M. Zhang un pseudonyme embarque depuis seize ans pour nourrir ses deux enfants restĂ©s dans son village de la province cĂŽtiĂšre du Jiangsu, au nord de ShanghaĂŻ. Notre rĂ©gion est trĂšs pauvre, alors beaucoup de gens Ă©migrent illĂ©galement ou deviennent marins, confie lâhomme de 39 ans. Chez nous aussi, on pĂȘche, sur de petits bateaux, le long des cĂŽtes, mais les restrictions nous mettent au chĂŽmage la moitiĂ© de lâannĂ©e. » AprĂšs avoir dĂ©cimĂ© ses propres ressources, la Chine cherche Ă prĂ©server ce quâil en reste tout en poussant sa flotte toujours plus loin sur les ocĂ©ans. M. Zhang se souvient des quarante interminables journĂ©es nĂ©cessaires pour rejoindre le large de lâArgentine, autre rĂ©gion Ă©cumĂ©e par les jiggers chinois. En haute mer, on travaille lâessentiel de lâannĂ©e », se rĂ©jouit-il. Depuis quelques annĂ©es, il part au large de lâInde. Le Fujian, face Ă TaĂŻwan, est rĂ©putĂ© pour ses montagnes, ses dialectes et ses marins. A Gantang, la pĂȘche est partie intĂ©grante de la culture. Sur les rives du fleuve Jiaoxi, Ă cĂŽtĂ© des retraitĂ©s qui conversent sur des chaises en plastique, poissons et crevettes sĂšchent sur des treillis. Sur le marchĂ©, les vendeurs dâencens et dâoffrandes proposent des reprĂ©sentations de Matsu, la dĂ©esse protectrice des marins, dont le poster cĂŽtoie, dans les maisons, ceux de Mao Zedong ou du prĂ©sident Xi Jinping. SituĂ© au nord de Ningde, lâun des points de dĂ©part des flottilles, Gantang sâest spĂ©cialisĂ© dans la maintenance. AdossĂ©s aux collines, les chantiers retapent les grands navires usĂ©s par un an de tempĂȘtes. Au bord dâun chenal, lâun dâeux souhaite 10 000 ans pour le grand Parti communiste chinois » sur une large banderole. LâentrĂ©e est interdite. Il faut monter sur une colline de thĂ©iers vert tendre pour observer ce quâil sây passe. Des chalutiers au long cours dont les Fu Yuan Yu 705 et 706 en cale sĂšche sur un chantier naval de Gantang, Ă Ningde Fujian, en Chine, le 20 juillet 2021. Au-dessus du poste de pilotage, une inscription peinte Le rĂȘve chinois ». Gilles Sabrie pour Le Monde » Des coques rouges et blanches, couvertes de rouille, reposent Ă lâarriĂšre-plan. Devant, trois navires fraĂźchement repeints, lie de vin pour le fond de cale, bleu marine au-dessus, arborent sur leurs frontons les mĂȘmes sinogrammes Zhongguo meng » le rĂȘve chinois », slogan du prĂ©sident Xi. Sur les flancs figure lâidentifiant de bateaux que nous allons pister les Fuyuanyu » FYY 705, 706 et 702. Fu » fait rĂ©fĂ©rence Ă la province du Fujian, yuan » signifie loin », et yu » poisson ». En 2020, la rĂ©gion en comptait 481, pour un total de 2 700 bĂątiments hauturiers chinois. Ces chiffres du ministĂšre de lâagriculture sont jugĂ©s trĂšs infĂ©rieurs Ă la rĂ©alitĂ© par les organisations de dĂ©fense de lâenvironnement. La plupart des marins nâont jamais vĂ©cu en mer. Ils ont Ă©tĂ© convaincus par la perspective de gagner deux fois plus quâun ouvrier AprĂšs quelque temps passĂ© auprĂšs de leurs familles, les hommes sont arrivĂ©s Ă Gantang un mois et demi avant de prendre la mer les ouvriers sont aussi des marins. Les travailleurs sont logĂ©s dans une bĂątisse de bĂ©ton brut. La piĂšce principale ne contient quâune table ronde, quelques tabourets et un petit autel dĂ©diĂ© Ă une divinitĂ© dont lâimage est collĂ©e sur le mur. On attend la permission des autoritĂ©s pour partir » le capitaine, un quadragĂ©naire Ă la mĂąchoire carrĂ©e sous un crĂąne dĂ©garni, rĂ©pond par bribes entre deux coups de tĂ©lĂ©phone passĂ©s dans un dialecte du Fujian. Lui est originaire de Pingtan, une Ăźle situĂ©e en face de TaĂŻwan, oĂč sont basĂ©es plusieurs grandes pĂȘcheries chinoises. Tous les ans, on part neuf Ă dix mois avec quelques dizaines de navires. On surgĂšle chaque jour le poisson que des bateaux spĂ©cialisĂ©s rĂ©cupĂšrent environ une fois par mois, en mĂȘme temps quâils nous ravitaillent. Comme ça, on nâa pas besoin de mettre pied Ă terre. On peut pĂȘcher sans sâarrĂȘter. » Deux membres dâĂ©quipage dâun chalutier de pĂȘche au long cours dans leur dortoir aprĂšs une journĂ©e de travail sur le bateau, dans un chantier naval de Ningde Fujian, en Chine, le 20 juillet 2021. Gilles Sabrie pour Le Monde » Son Ă©quipage sâentasse dans une maison encore plus spartiate, Ă©quipĂ©e de simples nattes en guise de couches, de bassines et des indispensables multiprises pour recharger les smartphones. En tongs et shorts, torse nu pour supporter la moiteur tropicale, une vingtaine de jeunes marins dĂ©filent, gamelles Ă la main, devant un cuisinier qui puise le dĂźner dans une marmite. Ils avalent leurs rations, assis sur leurs talons ou Ă mĂȘme le sol. Beaucoup ont un visage encore adolescent sur un corp frĂȘle. Ils viennent des rĂ©gions pauvres de lâOuest chinois, qui fournissent aux usines et chantiers du pays une main-dâĆuvre bon marchĂ©. Des membres dâĂ©quipage dâun chalutier de pĂȘche en haute mer devant leur baraquement, dans un chantier naval de Ningde Fujian, en Chine, le 20 juillet 2021. Gilles Sabrie pour Le Monde » Pour tous, le jeu en vaudra la chandelle. Le capitaine reçoit un salaire mensuel de plus de 10 000 yuans » 1 400 euros. Les autres, qui pour la plupart nâont jamais vĂ©cu en mer, ont Ă©tĂ© convaincus par la perspective dâempocher 7 000 Ă 8 000 yuans par mois â deux fois plus quâun ouvrier. Jiaxin, 27 ans, originaire de la province montagneuse du Sichuan, sort du lot avec sa peau plus blanche et ses lunettes Ă Ă©paisse monture noire. Lui aussi a dĂ©jĂ naviguĂ© au large de lâArgentine, avant de rejoindre lâusine de son pĂšre dans la province du Zhejiang, au sud de ShanghaĂŻ. Lâentreprise est aujourdâhui criblĂ©e de dettes et le fils espĂšre gagner 100 000 yuans en repartant en mer LâĂ©tĂ© prochain, je rentrerai Ă la maison avec mon pactole et je pourrai relancer lâaffaire. » PĂȘcher sans sâarrĂȘter » Septembre 2021, en mer dâArabie Les premiers navires sont arrivĂ©s la premiĂšre semaine de septembre sur leur zone de pĂȘche. En chemin, le FYY 702 a prĂ©levĂ© du poisson dans les eaux indonĂ©siennes durant plus de cinquante heures â une aubaine â, avant de filer vers la mer dâArabie. Il sâest mis Ă lâouvrage, le 24 septembre, Ă quelque 325 milles nautiques 1 mille nautique Ă©quivaut Ă 1,8 kilomĂštre des cĂŽtes indiennes, et 270 milles nautiques des rivages dĂ©sertiques du sultanat dâOman. Les derniers venus de Chine rejoignent, fin octobre, ces eaux internationales quâils sillonnent en tous sens, parcourant des centaines de milles chaque semaine. Les bateaux explorent dâabord le nord-est de cette Ă©tendue poissonneuse de 3,8 millions de kilomĂštres carrĂ©s. A chacun sa tĂąche ligneurs, palangres dĂ©rivantes et jiggers amateurs de calamar entremĂȘlent leurs sillages, telle une immense pelote rendue visible grĂące aux outils de GFW. La flotte chinoise compte aussi des navires de recherche » chargĂ©s de repĂ©rer les espĂšces non rĂ©glementĂ©es qui feront, Ă leur tour, lâobjet dâun prĂ©lĂšvement intensif Ă lâavenir. Leur tracĂ© en espalier se distingue de celui des jiggers. ZEE chinoise Eaux internationales 200 milles nautiques MĂ©thode 2 par chalutage pĂ©lagique En journĂ©e MĂ©thode 1 jiggers », avec lignes et lumiĂšres La nuit A chaque type de bateau sa mission CargorĂ©frigĂ©rĂ© Conteneur Navire Ă jigs ChalutierpĂ©lagique Exemple de prise accessoire le thon Exemple de prise accessoire le thon Chalutier pĂ©lagique 20 Ă 25 jigs attachĂ©sĂ chaque ligne 20 Ă 25 jigs attachĂ©sĂ chaque ligne PĂȘche dans les eauxdu plateau continental entre 60 et 120 mĂštresdde profondeur Voile stabilisatricepour empĂȘcher la dĂ©rivesous le vent jusquâĂ 125 mĂštres entre 20 et50 mĂštres entre 60 et80 mĂštres Fuzhou province du Fujian et Zhoushan province du Zhejiang sont les principaux ports chinois de la pĂȘche hauturiĂšre du calamar. Un musĂ©e consacrĂ© Ă cette activitĂ© a Ă©tĂ© ouvert Ă Zhoushan en 2021. La Chine dispose dâune flotte de pĂȘche au large de 2 700 bateaux, selon les chiffres officiels, soit la premiĂšre flotte hauturiĂšre du monde. Mi-aoĂ»t, la flottille de pĂȘche au calamar quitte les cĂŽtes chinoises, en direction de la mer dâArabie. Trois types de bateau sont principalement concernĂ©s jigger » dotĂ© de lumiĂšres et dâhameçons spĂ©cifiques pour attirer et pĂȘcher le calamar Chalutier pĂ©lagique Ă©quipĂ© de filets Cargo frigorifique reefer » pour ravitailler les bateaux en haute mer et transporter leurs prises en Chine Au-delĂ des 200 milles nautiques qui dĂ©limitent la zone Ă©conomique exclusive ZEE dâun Etat, oĂč la pĂȘche par les bateaux dâun pays tiers est soumise Ă une autorisation, ce sont les eaux internationales, ou la haute mer. Quelles sont les deux mĂ©thodes de pĂȘche au calamar ? Les navires Ă©quipĂ©s de plafonniers illuminent lâeau et attirent les calamars, qui se rassemblent dans la zone ombragĂ©e sous le bateau. Les machines Ă jigs » hameçons descendent puis remontent les lignes de pĂȘche. Des leurres sans pointes sont utilisĂ©s pour dĂ©crocher plus rapidement les calamars. Le filet est larguĂ© derriĂšre le bateau. Le filet ratisse lâocĂ©an, au risque de prises accessoires, capturĂ©es en mĂȘme temps que les espĂšces ciblĂ©es calamar. Ce sont parfois des espĂšces protĂ©gĂ©es, dont la pĂȘche est interdite ou rĂ©glementĂ©e. Le filet est remontĂ© Ă lâarriĂšre du bateau. Les prises accessoires ne sont pas toujours rejetĂ©es vivantes Ă la mer. Les preuves collectĂ©es par les ONG tendent Ă montrer un usage de plus en plus frĂ©quent de ces deux techniques de pĂȘche combinĂ©es. Comment les calamars arrivent-ils en Chine ? Les calamars sont ensuite transfĂ©rĂ©s en mer sur des bateaux rĂ©frigĂ©rĂ©s. Ils voyagent dans des conteneurs frigorifiques. Pendant une seule saison de pĂȘche, et au moins Ă deux reprises, un mĂȘme cargo peut rĂ©cupĂ©rer la cargaison dâune vingtaine de bateaux de pĂȘche en une dizaine de jours. Le suivi par satellites des bateaux de pĂȘche montre les rencontres avec les cargos qui opĂšrent des allers et retours chaque mois avec la Chine. A la fin du printemps, en mai, la flottille rentre en Chine. PĂȘcher sans sâarrĂȘter », avait prĂ©venu le capitaine. La vie des marins se rĂ©sume Ă prĂ©sent Ă un labeur ingrat effectuĂ© sous une chaleur poisseuse. En juin 2019, un navire FYY avait Ă©tĂ© contraint de sâabriter dans les eaux indiennes, en raison du cyclone Vayu. Delhi lâavait alors accusĂ© de piller les ressources de sa zone Ă©conomique exclusive ZEE. Outre ses hameçons Ă calamars, il Ă©tait Ă©quipĂ© de filets dĂ©rivants. Le Monde a rĂ©cupĂ©rĂ© des photos, prises Ă lâĂ©poque par des pĂȘcheurs locaux registres des bonus attribuĂ©s aux membres dâĂ©quipage, chambres encombrĂ©es de bannettes en bois, cuisine minimaliste mais propre, climatiseurs sur le pont⊠Elles offrent une rare plongĂ©e dans le rude quotidien des marins chinois. A bord dâun chalutier chinois rĂ©fugiĂ© dans les eaux indiennes lors d'un cyclone, le 12 juin 2019. Ganesh Nakhawa / Purse Seine Pour se dĂ©tendre, on regarde la tĂ©lĂ© ou nos smartphones⊠Mais la connexion Internet coĂ»te trĂšs cher », un yuan 1,14 euro pour un mĂ©gaoctet, raconte en souriant un costaud quinquagĂ©naire rencontrĂ© Ă Gantang. Les conditions sont moins mauvaises que par le passĂ©, prĂ©cise-t-il. On est ravitaillĂ©s et la nourriture surgelĂ©e est correcte. On peut acheter de lâalcool, câest tout. » Il ne voit sa famille quâun mois par an Mes enfants me manquent, bien sĂ»r, mais il faut bien travailler pour les envoyer Ă lâĂ©cole. » Comme ses camarades, le jeune Jiaxin, qui veut sauver lâentreprise de son pĂšre, sâest soumis Ă un examen de santĂ© approfondi Si tu as le moindre problĂšme â une pression artĂ©rielle Ă©levĂ©e, par exemple â, tu ne peux pas partir. A bord, il y a un mĂ©decin et on doit prendre des vitamines. » Les nuits de pleine lune, les hommes rĂȘvent de prises miraculeuses. La biomasse disponible de lâencornet est estimĂ©e Ă 630 000 tonnes en mer dâArabie ces derniĂšres annĂ©es, soit une moyenne de 4 tonnes par kilomĂštre carrĂ©, selon le Central Marine Fisheries Research Institute CMFRI, basĂ© Ă Cochin, dans lâEtat indien du Kerala. La production indienne, essentiellement cĂŽtiĂšre, atteint 73 000 tonnes. Les autoritĂ©s du Kerala estiment quâun millier de navires chinois croisent dans lâocĂ©an Indien. Leur nombre sâĂ©lĂšverait plutĂŽt entre 500 Ă 600 », avance le journaliste indĂ©pendant Ian Urbina, auteur de La Jungle des ocĂ©ans. Crimes impunis, esclavage, ultraviolence, pĂȘche illĂ©gale Payot, 2019. Lâimportant, souligne lâAmĂ©ricain, câest que la pression sâaggrave, car cette flotte chasse dĂ©sormais toutes sortes dâanimaux, de nuit comme de jour, avec des lignes mais aussi des filets. TMT et GFW ont Ă©tabli en 2021 que les bateaux ciblent notamment le thon, sans le dĂ©clarer Une part croissante de la flotte chinoise consacrĂ©e au calamar opĂšre avec de larges filets â une mĂ©thode qui pourrait avoir rĂ©duit les coĂ»ts et qui est probablement plus intensive comparĂ©e au jigging, qui exerce une pression accrue sur les stocks de calamars et des prises accessoires. » A Gantang, un chef de bord confirme On attrape plein de sortes de poissons. » La Chine, soucieuse de son image, ne veut pas passer pour un prĂ©dateur sans foi ni loi. En juin 2021, elle a dĂ©crĂ©tĂ© un moratoire temporaire sur les captures de calamars effectuĂ©es dans lâAtlantique et le Pacifique Est, oĂč ses excĂšs avaient Ă©tĂ© dĂ©busquĂ©s. Une autre suspension, de juillet Ă septembre, concerne le sud de lâocĂ©an Indien. La surpĂȘche du calamar en mer dâArabie nâest pas concernĂ©e. OpĂ©ration de pĂȘche au calamar filmĂ©e lors dâune enquĂȘte de Greenpeace dans le nord-ouest de lâocĂ©an Indien auprĂšs des chalutiers Fu Yuan Yu 8771 et Ju Long Jiaya 1, en mai 2021. Avec lâautorisation de lâopĂ©ration conjointe entre TM-Tracking et Greenpeace Ce cĂ©phalopode est-il menacĂ© dâextinction ? Les scientifiques peinent Ă prĂ©dire lâavenir dâun animal dont les populations varient considĂ©rablement dâune saison Ă lâautre. Lâencornet grandit trĂšs rapidement, sa vie est courte â un an tout au plus â, et il ne connaĂźt quâun seul cycle de reproduction. La femelle pond de grandes quantitĂ©s dâĆufs dont lâĂ©closion est liĂ©e aux conditions environnementales, selon des interactions encore mal connues. Le nombre de calamars serait en dĂ©veloppement, y compris dans les mers de Chine surexploitĂ©es », affirme une Ă©tude de lâuniversitĂ© ocĂ©anique de Qingdao en Chine, publiĂ©e en juin dans la revue Regional Studies in Marine Science Elsevier. Les scientifiques notent cependant que la composition des populations cĂŽtiĂšres a changĂ© depuis les annĂ©es 1960, passant dâespĂšces de grande taille et de valeur Ă©levĂ©e Ă des espĂšces de petite taille et de faible valeur ». Les calamars pourraient ĂȘtre dĂ©cimĂ©s, alerte Greenpeace International, qui prĂ©dit un dĂ©sastre ». Entre lâintensification de la pĂȘche industrielle non rĂ©glementĂ©e en haute mer et le manque de donnĂ©es adĂ©quates ou de rĂ©glementations environnementales, il apparaĂźt que lâindustrie nâa rien appris de lâĂ©puisement des populations de poissons Ă nageoires survenu ces derniĂšres annĂ©es », dĂ©nonce lâONG dans un rapport, Squids in the Spotlight, paru en mars. Sthenoteuthis oualaniensis Le calamar le plus commun du bassin indo-pacifique Source FAO Les marins du Fujian ne seront pas dĂ©rangĂ©s dans leur razzia. Leurs activitĂ©s Ă©chappent aux radars non parce quâon ne les voit pas, mais parce quâelles ne figurent pas dans les prioritĂ©s », souligne Julia Tasse, responsable du programme climat, Ă©nergie et sĂ©curitĂ© de lâInstitut de relations internationales et stratĂ©giques IRIS. Les flux de poissons ne suscitent pas le mĂȘme intĂ©rĂȘt de la part des marines de guerre traversant lâocĂ©an Indien que les Ă©changes pĂ©troliers, objets dâune prĂ©sence maritime coordonnĂ©e des EuropĂ©ens, note-t-elle. L'avenir compromis des ressources naturelles oblige partout les Etats Ă se mettre autour de la table. Ce nâest pas le cas ici », observe Julia Tasse, chercheuse Ă lâIRIS La mer dâArabie reste en outre un des points du globe oĂč la coopĂ©ration rĂ©gionale sur la pĂȘche est la plus ardue Ă mettre en place, en raison des mĂ©sententes entre riverains, Inde et Pakistan notamment. L'avenir compromis des ressources naturelles oblige partout les Etats Ă se mettre autour de la table. Ce nâest pas le cas ici », observe la chercheuse. Le calamar de la mer dâArabie nâentre ainsi dans les compĂ©tences dâaucune organisation multilatĂ©rale. La Commission des pĂȘches pour le sud-ouest de lâocĂ©an Indien, qui compte douze Etats membres, sâattelle Ă la conservation de toutes les espĂšces, mais ses prĂ©rogatives ne sâĂ©tendent pas au nord. La Commission rĂ©gionale des pĂȘches Corep couvre les eaux du golfe dâOman, mais pas la haute mer. La Commission des thons de lâOcĂ©an indien â oĂč siĂšge la Chine â pourrait se pencher sur ce problĂšme, car les calamars, maillons importants de la chaĂźne alimentaire, nourrissent les grands prĂ©dateurs migrateurs que sont les thons ou encore les requins, victimes de prises accidentelles, auxquels sâintĂ©resse aussi cette instance. Mais les cĂ©phalopodes ne sont pas inscrits sur la liste des espĂšces relevant de son mandat de gestion responsable. Au final, lâautoritĂ© Ă©choit au pavillon. Donc, le plus souvent, Ă la Chine. Or, il est trĂšs difficile de dire si leurs navires ont obtenu une autorisation en bonne et due forme », remarque Charles Kilgour, chef analyste de GFW. Lors du One Ocean Summit organisĂ© Ă Brest, du 9 au 11 fĂ©vrier, par la France, alors prĂ©sidente de lâUnion europĂ©enne, une quarantaine de chefs dâEtat et de gouvernement ont rivalisĂ© de dĂ©clarations de bonne volontĂ© Ă lâĂ©gard des ocĂ©ans en souffrance. La Chine a envoyĂ© un message par lâintermĂ©diaire de son vice-prĂ©sident, Wang Qishan, affichant sa volontĂ© de construire un ocĂ©an de paix, de coopĂ©ration et de beautĂ© ». Pourtant, hormis la rĂ©probation unanime de la prĂ©dation illicite, le sujet explosif de lâexploitation des ressources halieutiques en haute mer nâa pas Ă©tĂ© Ă©voquĂ©. En juin, lâaccord pĂ©niblement conclu entre les 164 pays membres de lâOrganisation mondiale du commerce OMC nâapparaĂźt pas non plus Ă la hauteur des enjeux. Un pont maritime vers le Fujian Au cĆur de lâhiver, en mer dâArabie La saison du calamar atteint son apogĂ©e. En tĂ©moigne lâeffervescence des navires cargos rĂ©frigĂ©rĂ©s, les zhuan chuan bateaux spĂ©cialisĂ©s », autour de la flottille, ravitaillant Ă tout-va â fuel, eau, vivres et peut-ĂȘtre mĂȘme nouveaux Ă©quipages â puis sâĂ©loignant chargĂ©s du fruit du labeur. Du 1er novembre 2021 au 1er mai, GFW va ainsi dĂ©tecter 250 rencontres entre jiggers et cargos. Le FYY 165 transfĂšre sa cargaison, le 9 puis le 17 novembre 2021, au Fuyuanyu Yun 266. Ce transporteur de 123 mĂštres enchaĂźne, comme les autres, les allers-retours en Chine. Il avait sillonnĂ© la mer dâArabie entre la mi-aoĂ»t et la mi-septembre. Il y est rĂ©apparu dĂ©but novembre, mois crucial, se plaçant Ă couple des jiggers pendant souvent plus de dix heures. Il revient encore dans la rĂ©gion Ă la mi-fĂ©vrier. PiĂšces maĂźtresses de la stratĂ©gie hauturiĂšre chinoise, les transporteurs ont Ă©tĂ© modernisĂ©s ces derniĂšres annĂ©es. En mai 2021, Ă Ningde, la presse locale a cĂ©lĂ©brĂ© la mise en service du FYYY 266, le plus grand navire rĂ©frigĂ©rĂ© actuellement construit dans la juridiction de Fujian », avec ses soutes pouvant emporter plus de 7 000 tonnes. LâactivitĂ© de ces cargos a au moins triplĂ© entre 2017 et 2019, selon TMT. Leurs dĂ©placements â un mois sur zone, un autre pour apporter la cargaison au port de base, et un troisiĂšme pour revenir â Ă©chappent cependant en partie au suivi satellitaire. Un chalutier chinois dans le nord-ouest de lâocĂ©an Indien en mai 2021. Fernanda Ligabue / Greenpeace / Avec lâautorisation de lâopĂ©ration conjointe entre TM-Tracking et Greenpeace Bien que la lĂ©gislation impose aux bĂątiments de grande taille dâĂ©mettre leurs identifiants en permanence, le signal est rĂ©guliĂšrement coupĂ©. En janvier, le Zhong Fu Hao 111, par exemple, nâĂ©met plus. Les donnĂ©es collectĂ©es par Le Monde montrent pourtant quâil a rencontrĂ© le FYY 706, trĂšs au sud du pĂ©rimĂštre de pĂȘche. Tout au long du mois de mars, ce scĂ©nario se rĂ©pĂšte avec de nombreux jiggers de la flottille. Alors que le navire est localisĂ© dans le port de Zhoushan, au sud de ShanghaĂŻ, il participe bel et bien Ă la campagne en cours en mer dâArabie. Notre avenir de pĂȘcheurs sâannonce trĂšs incertain », sâinquiĂšte Usman, 55 ans dont trente passĂ©s sur son bateau, au Pakistan Les cargos rĂ©frigĂ©rĂ©s battent souvent pavillon du Panama, mĂȘme quand ils appartiennent Ă des sociĂ©tĂ©s chinoises câest le cas du Rui Sheng et du Global Mariner, vus en janvier Ă Fuzhou, aprĂšs avoir opĂ©rĂ© en mer dâArabie en novembre 2021. Mais aussi de lâOcean Mariner et du Han Xing, qui ont accompagnĂ© plusieurs jiggers de notre flottille. Depuis 2015, le Han Xing a naviguĂ© successivement sous pavillon des Kiribati, de Sierra Leone et du Panama, indique le site MarineTraffic. Au cours de lâhiver, il a rejoint au moins deux fois Singapour Ă la mi-novembre 2021 et en janvier, avant de regagner Fuzhou. Les pratiques de la flotte entiĂšre demeurent suspectes. Au plus fort de la saison, entre novembre 2021 et mars, GFW a Ă©tabli quâau moins 150 jiggers et 22 cargos chinois Ă©cumaient la mer. Seuls les tracĂ©s de 63 dâentre eux correspondent Ă des bĂątiments diffusant leur identitĂ© via lâAutomatic Identification System AIS. Sans Ă©mettre de signaux, 88 autres ont pu ĂȘtre localisĂ©s par dĂ©tection infrarouge des lumiĂšres utilisĂ©es, la nuit, pour attirer les cĂ©phalopodes. La plupart des jiggers nâont branchĂ© leur AIS que pour traverser, Ă lâaller, le dĂ©troit de Malacca puis Ă lâapproche du Sri Lanka. Une fois lâĂźle dĂ©passĂ©e, ils restent discrets. Dans le sillage des FYY 701, 702, 705 et 706, la flottille pĂȘche entre trois et onze heures par jour sans quâil ne soit possible de repĂ©rer ses mouvements. DonnĂ©es fournies par Global Fishing Watch A. Heenan, R. Geronimo, N. Miller, 2022 Sur cette carte, nous avons retracĂ© les parcours de quatorze navires chinois spĂ©cialisĂ©s dans la pĂȘche au calamar ou jiggers », que Le Monde » a suivi pendant la durĂ©e d'une saison de pĂȘche. Les tracĂ©s sur la carte, reproduits dans la frise chronologique du bas, correspondent aux pĂ©riodes pendant lesquelles le systĂšme d'identification automatique AIS de chaque bateau Ă©tait activĂ© et pouvait ĂȘtre suivi par l'ONG Global Fishing Watch. Ces lignes sont discontinues le signal AIS peut ĂȘtre mal captĂ© par le satellite. Il peut ĂȘtre aussi dĂ©sactivĂ© intentionnellement, dissimulant la position exacte du bateau pour des raisons de sĂ©curitĂ© ou pour cacher d'Ă©ventuelles activitĂ©s illĂ©gales. Le tracĂ© jaune reprĂ©sente le parcours du cargo Hanxing » qui, au cours de la saison, a effectuĂ© plusieurs allers-retours en Chine, et sâest amarrĂ© Ă couple avec les diffĂ©rents jiggers, probablement pour les ravitailler et rĂ©cupĂ©rer leur cargaison. Huit des quatorze navires suivis par Le Monde ont eu des comportements douteux par le passĂ©. GrĂące Ă des informations transmises par Greenpeace, qui avait tentĂ© dâentrer en contact avec des navires chinois, en 2021, les experts norvĂ©giens de TMT ont Ă©tabli que les FYY 165, 167, 169, 7894 et 8589, 701, 702, 706 se sont activement soustraits au navire de Greenpeace, Arctic Sunrise, dans le nord-ouest de lâocĂ©an Indien lors de cette mission ». Les 701, 702 et 706, que nous avons vus Ă Gantang, avaient mĂȘme dĂ» rentrer en Chine pour une inspection officielle lors dâune prĂ©cĂ©dente saison Ils ont Ă©tĂ© convoquĂ©s le 20 juin 2018 », indique TMT. Selon un document officiel obtenu par Le Monde, six navires appartenant Ă Fujian Zhengguan Fishery Development ont Ă©tĂ© accusĂ©s par les autoritĂ©s chinoises dâutiliser des filets non autorisĂ©s â larges et triangulaires, fixĂ©s sur les flancs, ils ramassent, outre le calamar, dâautres espĂšces. La compagnie a aussi Ă©tĂ© visĂ©e pour fraude aux subventions sur le fuel, et pour fausse dĂ©claration au sujet des paramĂštres de ses bateaux. Les trajectoires visibles de la flottille chinoise ne conduisent pas aux rivages. Les cĂŽtes les plus proches, celles dâOman, ne comportent que peu dâinfrastructures industrielles. Au cours de la saison, seul le FYY 815, un bateau polyvalent, a Ă©tĂ© signalĂ© au port de Duqm, autour du 17 octobre 2021. Il a longuement manĆuvrĂ© dans les eaux omanaises, bĂ©nĂ©ficiant vraisemblablement dâune licence. Pourtant, selon GFW, le nombre de navires dans la ZEE du sultanat ne cesse dâaugmenter Nos donnĂ©es captĂ©es de nuit, grĂące aux lumiĂšres des navires, attestent dâune activitĂ© croissante », souligne Charles Kilgour. De nouvelles techniques â comme le suivi de signaux radars â permettent de confondre les bateaux voyous et leurs incursions illĂ©gales. En fĂ©vrier, pendant treize jours, Unseenlabs, une sociĂ©tĂ© française qui opĂšre des satellites dâinterception Ă©lectromagnĂ©tique, a scrutĂ© la zone pour le compte du Monde. La mer sâapparente bel et bien Ă un Far West » sur un total de 281 bĂątiments dont les Ă©metteurs radiofrĂ©quence ont Ă©tĂ© captĂ©s, 35 % ont coupĂ© leur AIS et peuvent donc ĂȘtre jugĂ©s non coopĂ©ratifs ». Quant aux 65 % qui lâont branchĂ©, seuls un tiers dâentre eux battaient pavillon chinois. Unseenlabs a dĂ©montrĂ© que cent vingt pĂȘcheurs et dix cargos frigorifiques chinois croisaient alors dans le secteur. Certains pĂ©nĂštrent dans les ZEE omanaise et indienne pour pĂȘcher et en sortent pour dĂ©charger leurs cargaisons dans dâautres bateaux Ă grande capacitĂ© de stockage », assure lâentreprise, qui expose deux cas prĂ©cis. Le premier, le FYY 706, a coupĂ© son signal Ă plusieurs reprises, durant deux cent huit heures au total, au cours de treize journĂ©es dâobservation. Il sâest approchĂ© de la limite de la ZEE du sultanat dâOman, a cessĂ© dâĂ©mettre trois jours quand il entrĂ© dans la zone, puis est reparti. Il a aussi Ă©teint son AIS au moment de transborder sa cargaison dans les eaux internationales. Le second est le FYY 7897. Au jour 1, le bateau chinois est localisĂ© Ă 60 milles nautiques de la limite des eaux indiennes, oĂč il coupe son signal durant quarante-deux heures. Le lendemain, dans la soirĂ©e, il est gĂ©olocalisĂ© en pleine ZEE, Ă 100 milles des cĂŽtes. Au troisiĂšme jour, il rĂ©apparaĂźt dans les eaux internationales Ă 80 milles de la ligne de la ZEE, naviguant vers le sud-ouest. Au matin du quatriĂšme jour, il clĂŽt son pĂ©riple par une rencontre avec un cargo frigorifique, le Fu Yuan Yu Yun 991. La Chine modifie les paramĂštres techniques de ses bateaux pour Ă©viter le traçage. Cette surpĂȘche sâinscrit dans une stratĂ©gie visant Ă conquĂ©rir ce quâelle nâa pas Ă domicile, commente SĂ©bastien Abis, expert français de lâalimentation, chercheur associĂ© Ă lâIRIS et directeur du Club Demeter. Dans ce contexte, tout le monde sâinquiĂšte de la dĂ©connexion des navires chinois, mais ce qui se passe en mer dâArabie nĂ©cessite aussi la complicitĂ© de riverains. » Trajet du bateau de pĂȘche au calamar Fu Yuan Yu 706, en fĂ©vrier 2022... ... avec systĂšme dâidentification automatique AIS en fonctionnement soit 87 heures sur une pĂ©riode de 13 jours ... avec AIS Ă©teint soit 208 heures RadiofrĂ©quences dĂ©tectĂ©es de lâespace par lâentreprise Unseenlabs, laissant supposer une prĂ©sence non dĂ©clarĂ©e du navire Zone possible de pĂȘche non dĂ©clarĂ©e Sources Unseenlabs ; MarineTraffic Le Pakistan, alliĂ© de la Chine, joue une partie compliquĂ©e. Sur ses cĂŽtes, les habitants sâinquiĂštent des consĂ©quences sur les ressources halieutiques de la razzia menĂ©e au large. Le Monde sâest rendu fin mai Ă Gwadar, ville du Baloutchistan sur la mer dâArabie. PĂ©kin y bĂątit un immense port en eau profonde, point dâentrĂ©e du corridor Ă©conomique sino-pakistanais qui doit relier la province chinoise du Xinjiang Ă la mer, dans le cadre des nouvelles routes de la soie ». Pour les petits pĂȘcheurs, qui sâaffairent autour de leurs bateaux en bois multicolores, la prĂ©sence chinoise est perçue comme une menace existentielle. Notre principal problĂšme, câest la pĂȘche au chalut non surveillĂ©e au large », expose Usman, 55 ans dont plus de trente passĂ©s sur son bateau. A Gwadar, ces artisans et leurs 5 000 barques font vivre plus de 60 % de la population. Fin 2020, ils ont protestĂ© contre la venue de vingt chalutiers hauturiers chinois dans les eaux du Baloutchistan et de la province voisine du Sind. En aoĂ»t 2021, un attentat-suicide a visĂ© un convoi de travailleurs chinois. Des pĂȘcheurs locaux vident leurs filets Ă Gwadar, au Pakistan, le 24 mai 2022. Adnan Aamir pour Le Monde » Islamabad a promis quâaucune licence ne serait accordĂ©e Ă la flotte de PĂ©kin. La municipalitĂ© de Gwadar, elle, a refusĂ© le projet chinois dâun vaste entrepĂŽt frigorifique dĂšs 2015. Mais tandis que les autoritĂ©s locales rĂ©futent lâexistence de tout prĂ©lĂšvement illĂ©gal, nous avons trouvĂ© du poisson local dans les chalutiers chinois », sâinsurge Younis Anwar Baloch, secrĂ©taire de lâalliance des pĂȘcheurs de Gwadar. Ces derniers, dĂ©jĂ privĂ©s dâun accĂšs Ă la mer Ă cause des nouvelles infrastructures autoroutiĂšres chinoises, voient de nombreux chalutiers pakistanais devenir propriĂ©tĂ© de la Chine. Les habitants partagent dĂ©sormais un large ressentiment. Notre avenir de pĂȘcheurs sâannonce trĂšs incertain », sâinquiĂšte Usman. PĂȘche illĂ©gale Printemps 2022, dans le Fujian Les usines de conditionnement chinoises tournent Ă plein rĂ©gime. Les spĂ©cialistes des produits de la mer estiment que la moitiĂ© des calamars ainsi acheminĂ©s dans le pays serait exportĂ©e vers trois marchĂ©s principaux â le PĂ©rou, lâIndonĂ©sie et les Etats-Unis â, selon Frank Asche, Ă©conomiste Ă lâuniversitĂ© de Floride. Pourtant, la pĂȘche hauturiĂšre chinoise dans son ensemble, perfusĂ©e aux subventions, nâest pas une activitĂ© rentable. Elle implique des coĂ»ts inhabituellement Ă©levĂ©s pour les approvisionnements critiques tels que le fuel, ce qui ne se traduit pas par des profits relativement faibles. Ce manque de profitabilitĂ© peut inciter les navires Ă cibler des espĂšces protĂ©gĂ©es de grande valeur, Ă rĂ©duire le salaire des Ă©quipages, Ă transborder illĂ©galement des prises, et Ă se livrer Ă dâautres activitĂ©s criminelles », rĂ©sument Austin Brush et Mary Utermohlen, auteurs dâune enquĂȘte de lâONG amĂ©ricaine C4ADS, publiĂ©e en mars, sur la pĂȘche hauturiĂšre chinoise et en particulier sur les activitĂ©s de lâune des plus grandes sociĂ©tĂ©s de pĂȘche chinoises cotĂ©es en Bourse, Pingtan Marine Enterprise. VoilĂ vingt ans que lâOrganisation maritime internationale OMI cherche Ă interdire les investissements massifs, par prĂȘts et subventions, qui alimentent la surexploitation de la mer. Sans y parvenir. Pour la Chine, cette surpĂȘche sâinscrit dans une stratĂ©gie visant Ă conquĂ©rir ce quâelle nâa pas Ă domicile », commente SĂ©bastien Abis, expert français de lâalimentation Le 14e plan quinquennal du Parti communiste chinois 2021-2025 souligne lâimportance du contrĂŽle de la pĂȘche, mais les navires hauturiers Ă©chappent aux rĂ©formes. Les autoritĂ©s encouragent la quĂȘte du calamar, dont les jiggers reprĂ©sentent plus des deux tiers des projets de pĂȘche autorisĂ©s par PĂ©kin dans les eaux internationales, selon un rapport, publiĂ© en mars, par la Fondation pour la justice environnementale EFJ, une ONG basĂ©e Ă Londres, et un cinquiĂšme de la pĂȘche chinoise dans son ensemble. Le secteur, industrialisĂ© dans les annĂ©es 1980 en sâappuyant sur les grandes entreprises dâEtat, a Ă©tĂ© privatisĂ© depuis 2010 Ă hauteur de 70 % Des centaines de petites entreprises et de bateaux sont plus difficiles Ă contrĂŽler », explique Philip Chou, directeur de projet Ă Oceana, une ONG de dĂ©fense de lâenvironnement marin. La plus grosse coopĂ©rative de Zhoushan, la City Pelagic Fishery Professional Cooperative, rassemble ainsi 255 membres et 370 bateaux, totalisant 108 000 tonnes pĂȘchĂ©es en 2019, selon lâEFJ. Dans le Fujian, Zhengguan Fishery Development possĂšde une quinzaine de bateaux de haute mer, dont six opĂšrent dans lâocĂ©an Indien. Lâarmateur attendait la livraison de quinze nouveaux navires Ă partir de 2020, dont au moins trois ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© mis Ă lâeau, bĂ©nĂ©ficiant dâune subvention de 610 000 yuans. FondĂ©e par Bian Lideng en 2011, cette sociĂ©tĂ© en pleine expansion couvre toute la chaĂźne de production, de la pĂȘche Ă sa transformation et Ă la vente de produits de la mer ou dâaliments pour la pisciculture. Elle vante son engagement au service du rayonnement de la Chine sur les mers, voulu par le prĂ©sident Xi. Ce qui ne lâa pas empĂȘchĂ©e dâĂȘtre rappelĂ©e Ă lâordre par PĂ©kin, en juin 2018, avec des consĂ©quences inconnues. Zhengguan, qui a profitĂ© de subsides Ă hauteur dâau moins 7,8 millions de yuans, a pris le risque de les voir coupĂ©s. A Gantang, plusieurs marins rencontrĂ©s pensaient partir Ă bord du FYY 070, propriĂ©tĂ© de Dongxinlong Ocean Fishing. Ils ont embarquĂ© sur un autre bateau. Le FYY 070, que Le Monde a photographiĂ©, rouillĂ©, au bassin, a Ă©tĂ© convoquĂ© pour inspection par le ministĂšre de lâagriculture. La sociĂ©tĂ© est aussi soupçonnĂ©e de fraude aux subventions. Des membres de lâĂ©quipage dâun chalutier de pĂȘche au long cours attendent leur repas aprĂšs une journĂ©e de travail sur le bateau au chantier naval de Ningde Fujian, en Chine, le 20 juillet 2021. Gilles Sabrie pour Le Monde » La plus sulfureuse de ces entreprises est sans doute Pingtan Marine, qui opĂšre trois des navires â FYY 7894, 7896 et 7897 â de la flottille suivie par Le Monde. Elle domine le secteur avec au moins 142 navires, dont 10 transporteurs frigorifiques. EnregistrĂ©e aux Ăźles CaĂŻman avec des bureaux dans le Fujian, la compagnie investit aussi dans la finance et lâimmobilier. Pingtan dispose dâune gĂ©nĂ©reuse ligne de crĂ©dit de 240 millions de dollars, principalement auprĂšs de la Banque de dĂ©veloppement de Chine et de la Banque de lâimport-export, deux Ă©tablissements dâEtat dont la mission est de soutenir les entreprises chinoises dans leur expansion Ă lâĂ©tranger. Le Fonds chinois pour le dĂ©veloppement de lâagriculture industrielle est lâun de ses actionnaires, Ă hauteur de 8 %. Pingtan bĂ©nĂ©ficie aussi de subventions directes 80 millions de dollars pour construction de bateaux de pĂȘche » depuis 2014, et 86 millions de dollars de subventions non spĂ©cifiĂ©es, dâaprĂšs un calcul de C4ADS. Pourtant, le groupe est rĂ©guliĂšrement dĂ©ficitaire. Sa valeur a Ă©tĂ© divisĂ©e par dix sur les marchĂ©s depuis son introduction au Nasdaq en 2011, au point quâil a Ă©tĂ© menacĂ© dâexclusion par la Security Exchange Commission SEC, le gendarme boursier amĂ©ricain. Son fondateur, Zhuo Xinrong, est un notable du parti. Il occupe, entre autres, la fonction de vice-prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration des Chinois de retour de lâĂ©tranger au Fujian, qui encourage la diaspora Ă promouvoir les objectifs du prĂ©disent Xi. MĂȘme sâil est considĂ©rĂ© en Chine comme un entrepreneur modĂšle, M. Zhuo a Ă©tĂ© placĂ© sur une liste noire des Etats-Unis, ainsi que son Ă©pouse, pour complicitĂ© » de pĂȘche illĂ©gale et de trafic dâĂȘtres humains en 2020. Pingtan Marine a rĂ©orientĂ© son activitĂ© vers le calamar, entre 2016 et 2020. Cela peut sâexpliquer par le fait que le calamar dans lâocĂ©an Indien et le sud-ouest de lâocĂ©an Atlantique reste une espĂšce sous-rĂ©gulĂ©e, voire pas du tout rĂ©gulĂ©e », note C4ADS. Ses navires ont Ă©tĂ© plusieurs fois interceptĂ©s en possession de pĂȘche illĂ©gale. En 2015, le Hai Fa, immatriculĂ© au Panama mais dĂ©tenu par une sociĂ©tĂ© qui lui est liĂ©e, Ă©tait devenu lâun des navires les plus recherchĂ©s de la planĂšte, aprĂšs lâĂ©mission dâune notice mauve » dâInterpol. Cette annĂ©e-lĂ , il avait Ă©tĂ© saisi en IndonĂ©sie avec 900 tonnes de poisson capturĂ© illĂ©galement, dont des espĂšces protĂ©gĂ©es. Des membres dâĂ©quipage dâun chalutier de pĂȘche en haute mer dans leur baraquement aprĂšs une journĂ©e de travail, dans un chantier naval de Ningde Fujian, en Chine, le 20 juillet 2021. Gilles Sabrie pour Le Monde » En mer, les abus sont dâautant plus nombreux que le capitaine est responsable de la rentabilitĂ© de sa mission. Les conflits liĂ©s aux salaires impayĂ©s sont plĂ©thore. La seule Pingtan Marine est accusĂ©e de violations des droits dâau moins quatre-vingts marins â travail forcĂ©, mauvais traitements et plusieurs dĂ©cĂšs â, selon un dĂ©compte de C4ADS. En 2019, un marin philippin est mort Ă bord du FYY 7874, trois semaines aprĂšs un accident, sans avoir reçu les soins nĂ©cessaires. Son corps avait Ă©tĂ© entreposĂ© dans le congĂ©lateur, rapporte le site dâinformation philippin Rappler. En mai 2020, câest un membre dâĂ©quipage chinois qui perd la vie, trois mois aprĂšs un autre accident qui nâavait pas convaincu le navire de rentrer au port. * * * Mai, lâheure du retour. Dans un ultime effort, le FYY 167 arpente de longues distances, plus de 350 kilomĂštres dâest en ouest en une semaine. Depuis la mi-avril, il pĂȘche intensĂ©ment, jamais moins de neuf heures par jour. Le 24 avril, il sâest mis Ă couple du cargo Fuyuanyu Yun 266 pendant seize heures. Il sâĂ©loigne enfin, le 7 mai, cap vers son port dâattache. Dâautres lâont dĂ©jĂ devancĂ©. Le FYY 165, qui a achevĂ© la saison au sud de la mer dâArabie, est repĂ©rĂ© au large de Sabang, le 18 mai, Ă la pointe ouest de lâIndonĂ©sie. Trois jours plus tard, il a dĂ©passĂ© Singapour. Le FYY 169 a rebranchĂ© son AIS pendant deux jours Ă lâapproche du Sri Lanka, dans la mer des Laquedives. Il file lui aussi vers la Chine⊠Selon une estimation du Monde, qui ne peut ĂȘtre vĂ©rifiĂ©e par des sources officielles, et qui suppose que tous les cargos sont revenus soutes pleines de leur pĂ©riple, jusquâĂ 420 000 tonnes de poissons et de calamars ont pu ĂȘtre prĂ©levĂ©es, au cours de cette saison 2021-2022, dans les eaux de la mer dâArabie par la Chine. Par Adnan Aamir Gwadar, envoyĂ© spĂ©cial, Julien Bouissou, Nathalie Guibert, Simon LeplĂątre Gantang, envoyĂ© spĂ©cial et Martine Valo Direction Ă©ditoriale Harold Thibault Infographie Francesca Fattori recherche, Audrey Lagadec illustration et Riccardo Pravettoni cartographie Design SolĂšne Reveney, MĂ©lina Zerbib et Eric Dedier DĂ©veloppement Eric Dedier
Servicequotidien Bus de mer traversĂ©es Saint-Malo/Dinard, achetez vos billets en ligne ! Horaires et tarifs. Tous les jours Chausey, Cap FrĂ©hel, Baie de Saint-Malo, CĂ©zembre. PĂȘche en mer du lundi au vendredi. Dinan 26, 27, 30 et 31 aoĂ»t.